Orchestre des Champs-Elysées

Wagner

Heritage

R. WAGNER « Wesendonck-Lieder » (F. Mottl / R. Wagner)
A. BRUCKNER Symphonie n°4 en mi b Majeur WAB 104 « Romantique » (version 1878/1880 - L. Nowak)

Véronique Gens, soprano
Philippe Herreweghe, direction

Anton Bruckner a tout juste 50 ans lorsqu’il élabore en 1874 la première version de sa Quatrième symphonie. Tel un bloc de marbre, il la retaillera à maintes reprises, réécrivant des mouvements entiers (le Scherzo), en refondant d’autres en profondeur (le Finale), afin de faire apparaître, selon les mots d’Harry Halbreich, « les profils les plus impérieux et mémorables demeurés prisonniers de la gangue du limon originel »Conformément à une pratique en vogue à l’époque, Bruckner, déjà auteur du sous-titre « Romantique », adjoindra plusieurs indications explicites s’apparentant à un programme. Il décrit ainsi l’Allegro initial à son ami et biographe August Gollerich : « Une ville moyenâgeuse à l’aurore. Des cris d’éveil matinal retentissent du haut des tours de la ville. Les portes s’ouvrent, les chevaliers s’élancent sur leurs coursiers. L’enchantement de la forêt les enveloppe. Murmures. Chants d’oiseaux. »

Le cor entraine l’auditeur dès les premières notes dans ce monde de villes médiévales, d’horizons boisés, de chants d’oiseaux, de chasses (3ème mouvement), de chevauchées, de procession religieuse (2ème mouvement) et de quêtes chevaleresques, si proche de celui de Lohengrin, dont Bruckner, fasciné par Wagner, écrit une traduction symphonique. 

« Romantique » est aussi le surnom que Wagner avait donné à son Lohengrin. Il en savoure le triomphe à Dresde en 1849 lorsque, poursuivi par la justice pour ses engagements anarchistes, il doit s’exiler en Suisse. Il trouve refuge à Zürich, chez le riche industriel, ami des arts, Otto Wesendonck, et son épouse Mathilde. Une passion naît entre elle et Wagner, alors marié à Minna. Lui qui a toujours été son propre librettiste écrit le recueil des cinq Wesendonck Lieder sur des poèmes de Mathilde, preuve de leur qualité, mais aussi de son amour, et prétexte pour la voir... Bien que ces cinq lieder (successivement Der Engel - l’Ange, Stehe Still ! - Reste tranquille !, Im Treibhaus - Dans la serre, Schmerzen - Douleurs, Träume - Rêves) figurent parmi les très rares pages wagnériennes qui ne soient pas issues d’un de ses opéras, ils y sont très directement liés. La composition du cycle, en 1857 et 1858, se situe entre l’achèvement de la Walkyrie et la genèse de Tristan. Im Treibhaus et Traüme sont d’ailleurs sous-titrés Etudes pour Tristan et Isolde. Wagner façonne dans Im Treibhaus le thème de la solitude de Tristan du début de l’acte III, et esquisse dans Traüme l’hymne à la nuit de l’acte II. Il orchestrera Traüme et le fera donner sous la fenêtre de Mathilde pour son anniversaire. Le reste du cycle sera orchestré quelques années plus tard par Felix Mottl.

Par bien des aspects, on ne peut imaginer plus opposés que Wagner et Bruckner. L’homme d’opéra, compositeur voyageur aux amours tumultueuses et aux engagements politiques, dialogue ici avec l’homme pieux à la vie austère et sédentaire. Tout les rassemble dans ce programme au décor d’opéra wagnérien où Tristan côtoierait Elsa von Brabant, et Isolde Lohengrin.
C’est ici Véronique Gens qui donnera vie aux vers de Mathilde Wesendonck. Lors d’une interview récente à ResMusica, la soprano dit se sentir à l’aube d’une quatrième phase, après sa période baroque, sa période mozartienne, sa période classique, en accord avec la pleine maturité de sa voix. Elle déclare, à propos de certains répertoires moins habituels pour elle : « Je sens que ma voix est prête, elle est là, elle a envie, moi j’ai envie. » Nul doute que cette nouvelle expérience wagnérienne nourrira ses envies d’ailleurs.

Crédits photo: 
Sandrine Expilly