C. DEBUSSY La Mer
E. CHAUSSON Poème de l'Amour et de la Mer op. 19
A. MAGNARD Hymne à la Justice op. 14
Gaëlle Arquez, mezzo-soprano (04, 05, 07 fév.) / Anna Caterina Antonacci, soprano (13 fév.)
Louis Langrée, direction
Rares sont ceux, lorsque l'OCE donna en 1991 La Création de Haydn au Théâtre des Champs-Elysées en guise d'acte de naissance, qui auraient pu prédire que ce même orchestre programmerait, quelque vingt cinq années plus tard, La Mer de Debussy, dans ce même écrin qui l'a vu naître. Si cela paraît désormais presque naturel, c'est que l'orchestre a construit son répertoire progressivement, méthodiquement, tirant les fils plus ou moins fins d'une histoire musicale tissée autour d'un grand axe classique et romantique germanique, et développant une approche similaire des oeuvres et des compositeurs quelle que soit leur époque, approche dont les instruments historiques sont une composante. Cette nouvelle aventure, qui nourrit un besoin quasi vital d'expériences inédites, n'a pourtant rien d'une expédition en terre inconnue. Si l'entrée de Debussy dans le répertoire de l'orchestre remonte à plusieurs années, c'est véritablement Louis Langrée, l'an dernier à l'Opéra Comique, en le guidant à travers l'univers musical sans équivalent de Pelléas, qui lui a fait franchir le cap, confortant l'orchestre dans l'intuition qu'un "certain" Debussy appartient à la trajectoire artistique sur laquelle il évolue. Le Pelléas de l'Opéra Comique aura marqué au moins un esprit, celui de son directeur Jérôme Deschamps, confiant à Classica en juin 2015, au seuil de son départ, qu'il gardait parmi les meilleurs souvenirs de son mandat, celui ému de cette « impression éblouissante que l'oeuvre renaissait chaque soir ».
La première de Pelléas tout juste passée, Debussy compose en 1903 les premières ébauches de La Mer. Il ne terminera ces Trois Esquisses Symphoniques, intitulées respectivement De l'aube à midi sur la mer, Jeux de vagues et Dialogue du vent et de la mer, qu'en 1905, après un dur labeur le menant de Jersey à Dieppe. Boudée voire rejetée lors de sa création à Paris le 15 octobre 1905 sous la direction de Camille Chevillard, cette symphonie révolutionnaire ne connut le succès qu'une fois défendue par son créateur, au début 1908. Si certains aspects de l'orchestration sont marqués par l'influence de Rimsky Korsakov, l'oeuvre est profondément nouvelle et ouvre une voie inouïe dans le langage symphonique. A un critique sceptique lors de la création en 1905, Debussy répondit, d'une formule lapidaire résumant son état d'esprit d'alors : « vous aimez et défendez des traditions qui n'existent plus pour moi ». Timbres, rythmes, harmonies, structure, La Mer ne cesse, encore aujourd'hui, d'émerveiller par son invention et sa puissance d'évocation poétique.
Contemporain de La Mer, L'Hymne à la Justice du français Albéric Magnard est un chant, presque un cri, en hommage au Zola de "J'accuse" et à tous ceux qui soutinrent le capitaine Dreyfus au tournant du siècle. Magnard écrit à Zola, le jour même de la publication de sa célèbre lettre dans l'Aurore : « Bravo, Monsieur. [...] En vous l'homme vaut l'artiste. Votre courage est une consolation pour les esprits indépendants qui préfèrent la justice à leur tranquillité, [...] Marchez ! Vous n'êtes pas seul. On se fera tuer au besoin ». Chaque instant de cette émouvante page symphonique fait ressentir toute la puissance du sentiment d'indignation qui a présidé à sa création.
Le magnifique Poème de l'Amour et de la Mer d'Ernest Chausson, autre génie français du tournant du siècle et ami de Debussy, est lui composé à peine une dizaine d'années avant La Mer. La Fleur des Eaux et La Mort de l'Amour, deux poèmes du poète français Maurice Bouchor, composent les deux mouvements extrêmes pour voix et orchestre de cette forme tripartite, symphonie drapée dans son nom poétique . Ils seront ici l'occasion d'une première collaboration avec deux voix d’exception : Gaëlle Arquez (04, 05 et 07 février) et Anna Caterina Antonacci (13 février).