F. LISZT « Harmonies poétiques et religieuses » S. 173 - Andante lagrimoso
F. LISZT « Harmonies poétiques et religieuses » S. 173 - « Bénédiction de Dieu dans la solitude »
F. LISZT « Malédiction » S. 121 pour piano et cordes
G. VERDI Quatuor à cordes en mi mineur (version orchestre à cordes)
Vanessa Wagner, piano (Erard 1865)
Alessandro Moccia, violon et direction
R. WAGNER « Wesendonck-Lieder »
A. BRUCKNER Symphonie n°4 en mi b M « Romantique »
Kelly God, soprano
Philippe Herreweghe, direction
Les deux programmes donnés par l’Orchestre des Champs-Elysées dans le cadre du festival de Saintes 2018 rendent respectivement hommage aux deux plus importants compositeurs d’opéra du XIXème siècle : Verdi et Wagner.
Verdi d’abord, avec sa seule œuvre de musique de chambre qui nous soit parvenue : son quatuor à cordes. Il est à Naples, en 1873, lorsque les répétitions de son Aïda sont retardées par une indisposition de la cantatrice Teresa Stolz. Forcé d’attendre sa guérison, le compositeur met son oisiveté à profit ! Profondément marqué par une représentation de Lohengrin à Bologne en 1871, Verdi, qui a alors 60 ans, confirme avec ce quatuor (et le Requiem écrit la même année), sa volonté de renouveler son propre langage. Cette mutation profonde amorcée dans Aïda se prolongera quelques années plus tard avec Otello et les derniers chefs d’œuvres que sont Falstaff et les Quattro Pezzi Sacri. Le quatuor de Verdi sera ici joué dans sa version pour orchestre à cordes, dirigé du violon par Alessandro Moccia. La première partie du concert sera consacrée à Liszt : Malédiction d’abord, pour piano et orchestre à cordes, offrant à l’Orchestre des Champs-Elysées le plaisir d’une première collaboration avec la pianiste française Vanessa Wagner, laquelle interprétera également deux extraits des Harmonies poétiques et religieuses, vaste cycle pour piano seul de Liszt dont elle est une des interprètes les plus remarquables.
La 4ème de Bruckner est presque exactement contemporaine du quatuor de Verdi. Le compositeur autrichien a tout juste 50 ans lorsqu’il en élabore la première version en 1874. Tel un bloc de marbre, il la retaillera à maintes reprises, réécrivant des mouvements entiers (le Scherzo), en refondant d’autres en profondeur (le Finale), afin de faire apparaître, selon les mots d’Harry Halbreich, les profils les plus impérieux et mémorables demeurés prisonniers de la gangue du limon originel. Conformément à une pratique en vogue à l’époque, Bruckner, déjà auteur du sous-titre « Romantique », adjoindra plusieurs indications explicites s’apparentant à un programme. Il décrit ainsi l’Allegro initial à son ami et biographe August Gollerich : Une ville moyenâgeuse à l’aurore. Des cris d’éveil matinal retentissent du haut des tours de la ville. Les portes s’ouvrent, les chevaliers s’élancent sur leurs coursiers. L’enchantement de la forêt les enveloppe. Murmures. Chants d’oiseaux. Le cor entraine l’auditeur dès les premières notes dans ce monde de villes médiévales, d’horizons boisés, de chants d’oiseaux, de chasses (3ème mouvement), de chevauchées, de procession religieuse (2ème mouvement) et de quêtes chevaleresques, si proche de celui de Lohengrin, dont Bruckner, fasciné par Wagner, écrit une traduction symphonique.
« Romantique » est aussi le surnom que Wagner avait donné à son Lohengrin. Il en savoure le triomphe à Dresde en 1849 lorsque, poursuivi par la justice pour ces engagements anarchistes, il doit s’exiler en Suisse. Il trouve refuge à Zürich, chez le riche industriel, ami des arts, Otto Wesendonck, et son épouse Mathilde. Une passion naît entre elle et Wagner, alors marié à Minna. Lui qui a toujours été son propre librettiste écrit le recueil des cinq Wesendonck Lieder sur des poèmes de Mathilde, preuve de leur qualité, mais aussi de son amour, et prétexte à une relation intime... Bien que ces cinq lieder (successivement Der Engel - l’Ange, Stehe Still ! - Reste tranquille !, Im Treibhaus - Dans la serre, Schmerzen - Douleurs, Träume - Rêves) figurent parmi les très rares pages wagnériennes qui ne soient pas issues d’un de ses opéras, ils y sont très directement liés. La composition du cycle, en 1857 et 1858, se situe entre l’achèvement de la Walkyrie et la genèse de Tristan. Im Treibhaus et Traüme sont d’ailleurs sous-titrés Etudes pour Tristan et Isolde. Wagner utilise dans Im Treibhaus le thème de la solitude de Tristan du début de l’acte III, et esquisse dans Traüme l’hymne à la nuit de l’acte II. Il orchestrera Traüme et le fera donner sous la fenêtre de Mathilde pour son anniversaire. Le reste du cycle sera orchestré quelques années plus tard par Felix Mottl.
Par bien des aspects, on ne peut imaginer plus opposés que Wagner et Bruckner. L’homme d’opéra, compositeur voyageur aux amours tumultueuses et aux engagements politiques, dialogue ici avec l’homme pieux à la vie austère et sédentaire. Tout les rassemble dans ce programme au décor d’opéra wagnérien où Tristan côtoierait Sieglinde, et Isolde Lohengrin.
C’est ici la soprano Kelly God qui donnera vie aux vers de Mathilde Wesendonck. Après avoir débuté à l’Opéra National de Paris dans le rôle de Gerhilde dans la Walkyrie, elle sera très attendue à l’automne 2018 pour sa prise du rôle d’Isolde dans Tristan…