J. BRAHMS Concerto pour violon et violoncelle en la m op. 102
A. DVORAK Symphonie n°8 en sol M op. 88 (sauf 10/11)
A. BRUCKNER Symphonie n°2 en ut m WAB 102 Fassung 1877 (10/11 slmt)
Isabelle Faust, violon
Christian Poltera, violoncelle
Philippe Herreweghe, direction
Le cycle Brahms Perpectives se poursuit avec ce quatrième opus dont Antonin Dvorak sera l’invité.
Né à Nelahozeves (Bohême) en 1841 et mort à Prague en 1904, Dvorak est, à une poignée d’années près, le contemporain de Brahms (1833-1897). De leur rencontre dans les années 1870 naît une amitié durable et féconde. Brahms aidera à la publication des œuvres de son cadet par son éditeur Simrock. Jarmil Burghauser (1921-1997), le grand biographe et auteur du catalogue des œuvres de Dvorak, associe les deux compositeurs en ces termes : « Dvorak n’était pas un romantique au sens propre du mot mais aux côtés de Brahms par exemple, il a fait office de transition entre le classicisme et les temps modernes ». Ce rôle de passeur se situe, à l’écoute de sa 8ème symphonie, autant sur un plan chronologique au sein des compositeurs tchèques (Smetana avant lui, Janacek puis Martinu après) que d’un point de vue géographico-culturel, entre les influences germaniques de Brahms, et russes de Tchaïkovski, que Dvorak rencontrera et par lequel il sera invité en Russie.
Composée en 1889 et créée sous la direction du compositeur l’année suivante, la Huitième symphonie est l’œuvre d’un presque quinquagénaire qui entendait la composer « différente de ses symphonies précédentes en ce qu’elle mettait en œuvre des idées personnelles de manière nouvelle ». Elle contraste sans aucun doute avec la sombre Septième par son caractère lumineux, ample et d’un lyrisme apaisé. Et si l’orchestration est réalisée à Prague, les idées musicales naissent dans le cadre intime et rural de sa villégiature de Vysoka, dans l’été finissant : « Dès l’aube, [Dvorak] parcourt les champs, les landes et les forêts environnant le hameau. C’est dans leur intimité que naissent les idées musicales. […] Le soir, il se rend à l’auberge où il prend plaisir à bavarder avec les villageois. Il s’intéresse à leur dur labeur et se fait expliquer les détails de leurs travaux difficiles et de leur existence… ». L’évocation par son biographe Otakar Sourek du quotidien d’alors de Dvorak révèle l’inspiration du compositeur devant la beauté de la nature, mais également au contact de la culture populaire.
Exposé aux violoncelles, le merveilleux premier thème du premier mouvement ouvre une large perspective vers les grands espaces, dans une expressivité heureuse et ample qui rappelle les « poco forte » de Brahms. A l’influence brahmsienne succède un chant d’oiseau chanté à la flûte où l’on reconnaît une certaine naïveté bucolique propre à Dvorak.
L’Adagio très narratif, aux climats changeants, alterne le bucolique, la danse nonchalante, la marche. L’auditeur semble invité à créer son propre programme.
Baigné par la même lumière que le début du premier mouvement, l’Allegretto grazioso, aux allures de Ländler, peut être entendu comme un écho au Poco Allegretto de la Troisième symphonie de Brahms, composée six années plus tôt.
Comme le deuxième mouvement, le Finale Allegro ma non troppo semble plus affranchi de l’influence brahmsienne. La sonnerie de trompettes inaugurale évoque les opéras patriotiques de Smetana, la série de variations et le caractère nettement rhapsodique laisse un large espace à Dvorak pour donner libre court à sa créativité et sa singularité. Il conclut par une bacchanale éblouissante.
C’est le Concerto pour violon, violoncelle et orchestre de Brahms, composé juste un an avant cette Huitième, qui précèdera également cette dernière dans ce programme. Lorsqu’il compose en 1888, moins de dix ans avant sa mort, un Double Concerto, le « classique » des romantiques ressuscite la forme concertante pour plusieurs instruments courante chez les compositeurs baroques et classiques auxquels il est tant attaché, mais rarement utilisée au XIXème siècle. Il avait déjà tenté une expérience similaire en introduisant un violoncelle solo dialoguant à égalité avec le soliste dans le mouvement lent de son Deuxième concerto pour piano, son précédent chef d’œuvre concertant (1881). Contrairement à ce dernier où Brahms avait introduit un scherzo, le Double retrouve la coupe en trois mouvements du concerto classique. Les premières mesures de l’Allegro initial sont de la trempe puissante et conquérante des premiers tutti du Premier concerto pour piano ou de la Première symphonie. L’orchestre s’arrête comme en suspens, coupé dans son élan par le violoncelle qui entre dans l’œuvre par un chant ample et déclamatif, presque une cadence. Si Brahms laisse, ici comme dans le finale, les premiers mots au violoncelle, les deux instruments dialoguent ensuite et tout au long de l’œuvre à égalité, parfois seuls, souvent avec l’orchestre.
Au lyrisme héroïque du premier mouvement succède la douceur du chant élégiaque de l’Andante. L’énoncé du premier thème, où cette fois violon et violoncelle ne font qu’un dans un unisson et une homorythmie idyllique, évoque la quiétude des premières mesures du Concerto pour violon.
Brahms conclut son chef d’œuvre par un finale Vivace bondissant et espiègle aux accents tziganes qui se termine en une coda jubilatoire.
Familier du concerto pour violon, dans lequel il a accompagné Isabelle Faust à de nombreuses reprises, l’Orchestre des Champs-Elysées retrouvera cette dernière en compagnie de Christian Poltera dans ce Double concerto de Brahms.
Pour le concert de Poitiers, c’est la Deuxième symphonie de Bruckner, qui partageait avec Brahms la passion pour les maîtres du passé, qui sera associée au Double concerto.