Orchestre des Champs-Elysées

Brahms

Ein deutsches Requiem

F. SCHUBERT Symphonie en si m D. 759 « Inachevée »
J. BRAHMS « Ein deutsches Requiem »

Regula Mühlemann, Florian Boesch
Collegium Vocale Gent
Philippe Herreweghe, direction

L’année 2024 débute avec l’un des chefs d’œuvre de la musique chorale de Brahms : « Ein Deutsches Requiem ». Gravé en 2008 pour Harmonia Mundi avec Christiane Oelze, Gerald Finley, et déjà, bien sûr, le Collegium Vocale Gent, il fut l’une des premières oeuvres de Brahms à entrer au répertoire de l’Orchestre des Champs-Elysées. Ce dernier retrouve cette fois la soprano Regula Mühlemann et le baryton Florian Boesch.

Lorsque le projet se concrétise en 1866, il semble que Brahms a depuis déjà de nombreuses années l’envie de composer un Requiem. L’idée est née vraisemblablement en 1856 à la mort de Schumann, l’aîné bienveillant et l’ami fidèle. Le décès de sa propre mère, en 1865, sera l’élément déclencheur. Le souvenir de ces deux êtres chers donne à ce Requiem sa tonalité particulière, tendre et lumineuse. Le caractère intime et personnel de cette composition incite d’ailleurs Brahms à innover, faisant de cette oeuvre un tournant. Clara Schumann, une des premières à en entendre des extraits au piano, saisit tout de suite cette dualité dans son journal en août 1866 : « Johannes m’a joué quelques magnifiques mouvements d’un Requiem de sa composition […] Il est tout plein d’idées tendres et aussi d’idées audacieuses. Je ne sais pas encore très clairement comment cela sonnera, mais en moi il sonne magnifiquement ».

Lecteur quotidien de la Bible, qu’il tenait près de lui en permanence, Brahms a lui-même sélectionné un ensemble de textes issus de l’Ancien et du Nouveau Testament correspondant au caractère qu’il souhaite donner à son Requiem. Aucune prière des morts telle qu’employée habituellement au cours de l’office. Brahms n’insiste pas non plus sur le jour de colère et n’évoque les trompettes du Jugement Dernier que d’une façon relativement fugace. Compte tenu du contexte, on comprend aisément en revanche pourquoi il met l’accent sur cette réunion de ceux qui se sont aimés ici-bas. L’esprit de tendresse et de douceur qui berce une grande partie de l’oeuvre est le fruit de ce choix de textes et de leur traitement thématique, harmonique et orchestral. Malgré tout ce qui les différencie, seul le Requiem de Fauré semble baigné de la même douce lumière. Comme Fauré, Brahms n’utilise d’ailleurs pas les violons dans le premier mouvement. Comme l’écrit Claude Rostand dans sa grande biographie de Brahms : « dans leurs musiques funèbres, les deux compositeurs se sont comportés davantage en hommes qu’en fidèles, et ils ont tous deux illustré une conception de la mort et de la vie éternelle dépassant sensiblement la lettre de leurs religions respectives ».

La création des trois premiers mouvements le 1er décembre 1867 dans la « Grosse Redoutensaal » de Vienne, lors d’un concert donné à la mémoire de Schubert, fut un ratage retentissant, dû à une inexplicable erreur du timbalier qui tambourina sa partie fortissimo dans le troisième mouvement, couvrant ainsi tous les autres instruments et provoquant de vives réactions parmi le public et les critiques, qui en tirèrent des jugements très négatifs à propos de l’oeuvre elle-même.

C’est grâce à la mobilisation du fidèle Carl Reinthaler, directeur de la musique à Brême, grand centre musical de l’époque, qu’aura lieu une création cette fois complète, préparée avec un soin méticuleux, laquelle propulsera la notoriété de Brahms au firmament de l’Europe musicale d’alors.

Si la composition de la Symphonie « Inachevée » en si mineur D. 759 de Schubert a commencé en 1822 (en remerciements à la Société musicale de Styrie qui venait de le faire membre d’honneur), sa création a eu lieu seulement en 1865, près de 40 ans après la mort du compositeur, et un an seulement avant que Brahms compose son Requiem. Seuls les deux premiers mouvements Allegro moderato et Andante con moto ont été terminés. L’esquisse pianistique du Scherzo ainsi que deux pages orchestrées et une ligne mélodique pour la première partie du trio qui nous sont parvenues ont donné lieu à diverses tentatives de complétion. Et c’est l’Entracte en si mineur de Rosamunde qui servit de Finale lors de la création. Ce sont aujourd’hui les deux premiers mouvements seulement qui sont interprétés. Leur puissance dramatique inouie a offert une postérité inattendue non seulement à ce « demi » chef d’œuvre mais a surtout grandement participé à construit la renommée universelle de son auteur.

Crédits photo: 
Oliver Kiss