Orchestre des Champs-Elysées

Bruckner

2x2

J. BRAHMS Double concerto pour violon et violoncelle en la m op. 102 (7/09)
A. BRUCKNER Messe n°2 en mi m WAB 27 Zweite Fassung 1882 (sauf 7/09)
A. BRUCKNER Symphonie n°2 en ut m WAB 102 Fassung 1877 (sauf 15/09)

F. MENDELSSOHN Mitten wir im Leben sind op. 23/3 (15/09)
A. BRUCKNER Aequale n°1 (15/09)
A. BRUCKNER Christus factus est (15/09)
A. BRUCKNER Aequale n°2 (15/09)
J. BRAHMS Warum ist das Licht gegeben op. 74  (15/09)

Carolin Widmann, violon (7/09)
Christian Poltera, violoncelle (7/09)
Collegium Vocale Gent (sauf 7/09)
Philippe Herreweghe

 

Comme pour prolonger l’été, l’Orchestre des Champs-Elysées reprend en ce début septembre certaines des œuvres avec lesquelles il a sillonné les festivals. Elles sont cette fois mises en regard de la Deuxième symphonie de Bruckner lors d’une grande tournée européenne allant de Grafenegg à Gent, en passant par Merano, Essen et Linz, à l’occasion du très prestigieux Brucknerfest.

Achevée à la fin de l’été 1872, la Deuxième symphonie est contemporaine de la reconnaissance internationale de Bruckner comme un des plus grands organistes de son temps. Sa carrière d’interprète l’a récemment conduit à Notre-Dame de Paris (1869) où Franck, Saint-Saëns, Auber, Gounod et Ambroise Thomas lui ont unanimement témoigné leur admiration, et à Londres (1871), où une admiratrice l’a même demandé en mariage !
Entre ces deux triomphes, le décès soudain de sa sœur Nanni lui inflige une profonde blessure, le laissant seul dans cette Vienne frivole et friande d’intrigues, si étrangère à son caractère franc et à ses manières parfois maladroites. A ce deuil s’ajoute à son retour de Londres une sordide accusation de harcèlement sexuel envers une élève dont il sera rapidement blanchi mais qui ne fera que rajouter au sentiment de rejet de la part de la capitale autrichienne.
Heureusement, l’accueil très favorable de sa Messe en fa mineur, créée en juin 1872, lui redonne un élan indéniable dans l’achèvement de sa Deuxième symphonie.
De l’abattement à l’espoir, les états d’âmes de Bruckner se retrouvent tous mêlés dans cette œuvre aux lumières changeantes. Considérée par son créateur comme la plus accessible de toutes, celle qu’il définissait comme « calme et disciplinée » apparaît d’abord d’un lyrisme généreux, et le sentiment de félicité l’emporte souvent sur la gravité de l’ut mineur. S’en dégage d’autre part une grande rigueur, presque didactique, notamment par l’utilisation fréquente des « General Pausen », silences de l’orchestre tout entier par lesquelles le compositeur sépare les différents groupes thématiques. Bruckner dessine dans cette Deuxième nombre des traits typiques de son écriture symphonique future, tels la combinaison des rythmes binaires et ternaires, les homorythmies, les lentes et imperturbables progressions, et en premier lieu l’introduction de ses premiers mouvements par des tremolo de cordes pianissimo (ici des triolets de croches répétés).
Le premier mouvement incarne cette oscillation entre ombre et lumière. Aux premières mesures inquiètes succède le magnifique deuxième thème en mi bémol majeur confié aux violoncelles, ample et lumineux ; et la sereine somptuosité du mouvement lent fait place à un Scherzo dont les premières mesures évoquent les grandes orgues de l’interprète triomphant, suivi d’un Trio aux allures de Ländler. Il conclut par un Finale dont l’énergie rappelle presque Mendelssohn, dont il avait d’ailleurs utilisé certains thèmes lors de ses improvisations au concours d’orgue qui l’avait vu l’emporter à Londres. Comme il l’avait fait pour sa Première symphonie, elle aussi en ut mineur, il conclut par un ut majeur explosif et presque euphorique.
Il est aussi étonnant qu’injuste de constater que de toutes les symphonies d’A. Bruckner, c’est cette Deuxième, déjà si pleine du génie de son créateur, baignée d’espoir et à l’énergie communicative, qui a le moins souvent les faveurs des programmateurs. Puissent toutes ses beautés lui être rendues grâce à la lecture transparente et fervente de Philippe Herreweghe et de l’Orchestre des Champs-Elysées.

Brahms, qui montra jusqu’à la fin de sa vie le plus grand dédain pour Bruckner, partageait avec lui une passion pour les maîtres du passé. A Grafenegg, c’est son Double concerto pour violon et violoncelle qui sera mis en regard de la Deuxième Symphonie.
Lorsqu’il compose en 1888, moins de dix ans avant sa mort, un Double concerto pour violon et violoncelle, le « classique » des romantiques ressuscite la forme concertante pour plusieurs instruments courante chez les maîtres baroques et classiques auxquels il est tant attaché, mais rarement utilisée au XIXème siècle. Il avait déjà tenté une expérience similaire en faisant dialoguer à égalité un violoncelle solo avec le soliste dans le mouvement lent de son Deuxième concerto pour piano, son précédent chef d’œuvre concertant (1881).
Contrairement à cette dernière œuvre, où Brahms avait introduit un scherzo, le Double retrouve la coupe en trois mouvements du concerto classique. Les premières mesures de l’Allegro initial sont de la trempe puissante et conquérante des premiers tutti du Premier concerto pour piano ou de la Première symphonie. L’orchestre s’arrête comme en suspens, coupé dans son élan par le violoncelle qui entre dans l’œuvre par un chant ample et déclamatif, presque une cadence. Si Brahms laisse, ici comme dans le Finale,  les premiers mots au violoncelle, les deux instruments dialoguent ensuite et tout au long de l’œuvre à égalité, parfois seuls, souvent avec l’orchestre.
Au lyrisme héroïque du premier mouvement succède la douceur du chant élégiaque de l’Andante. L’énoncé du premier thème, où cette fois violon et violoncelle ne font qu’un dans un unisson et une homorythmie idyllique, évoquant la quiétude des premières mesures du Concerto pour violon.
Brahms conclut son chef d’œuvre par un Vivace bondissant et espiègle aux accents tziganes qui se termine en une coda jubilatoire.
L’Orchestre des Champs-Elysées aura la chance de dialoguer ici avec les deux merveilleux artistes Carolin Widmann et Christian Poltera, tous deux chambristes hors pair.

A partir du 17 septembre, c’est la Deuxième Messe de Bruckner qui dialoguera avec sa Deuxième Symphonie. Nul hasard si cette Messe en mi mineur, pour chœur mixte à huit voix et vents, est dédiée à un fervent admirateur de la musique de Palestrina, l’évêque Rudigier. Composée entre août et novembre 1866 et destinée à la consécration de la chapelle votive de la nouvelle Cathédrale de Linz, l’œuvre est certes pétrie de l’art des maîtres de la Renaissance, mais tient plus largement d’une singulière synthèse de l’art choral au fil des styles, tant l’architecte Bruckner y introduit également des traits caractéristiques des époques classiques et romantiques. Empreinte d’une certaine austérité due notamment à l’absence de cordes et de solistes ainsi qu’à une écriture résolument contrapuntique, l’œuvre tend, comme chez le Liszt tardif du Via Crucis, vers la recherche de l’expressivité par la plus grande économie de moyens. Elle annonce en cela, bien que puisant aux sources de la musique vocale des siècles précédents, celle du XXème siècle. Sa vocalité tendue, son écriture harmonique complexe dont la critique contemporaine de Bruckner reprocha les hardiesses, nécessite des interprètes d’exception comme les membres du Collegium Vocale. Philippe Herreweghe, qui a dédié une grande partie de sa vie aux maîtres de la musique vocale germaniques, notamment ceux de la Renaissance, sera le guide idéal à travers ce programme consacré intégralement à Bruckner, un de ses compositeurs de chevet.

Crédits photo: 
Mariusz Niedzwiedzki