Brahms a cinquante ans lorsqu’il compose sa Troisième Symphonie. Il lui consacrera cette année 1883 exclusivement. Avec toutes les précautions nécessaires lorsqu’il s’agit de mettre en regard l’œuvre de Brahms avec celle de Beethoven, à la Première « Pathétique » et à la Deuxième « Pastorale », succède cette Troisième « Héroïque ». C’est d’ailleurs le surnom que donna à cette symphonie le grand chef d’orchestre Hans Richter, qui en dirigea la création le 2 décembre 1883 avec l’orchestre philharmonique de Vienne.

Les deux mouvements extrêmes incarnent le mieux ce surnom, le final offrant un pendant sombre à l’héroïsme lumineux du premier mouvement, lequel est sous-tendu par les accords « F » (fa)  « A » (la)  « F » (fa). Les trois lettres FAF symbolisent la devise adoptée par Brahms signifiant « Frei Aber Froh » (« libre mais joyeux »), en opposition à celle de son ami et dédicataire du Concerto pour violon Joseph Joachim « Frei Aber Einsam » (« libre mais solitaire »). Les deux mouvements centraux donnent son équilibre à l’œuvre, apportant respiration et calme méditatif, le troisième mouvement tenant ici plus du pur intermezzo brahmsien que du scherzo avec trio dont il garde uniquement le cadre formel.

À la fin de 1883, la nouvelle d’une Troisième Symphonie parcourt l’Europe musicale et attise les convoitises des organisateurs de concert. Le succès de la première à Vienne est retentissant, se prolonge et se répend à travers l’Europe, jusqu’en Russie et aux Etats-Unis, au point que son créateur finit par se méfier de son propre chef d’œuvre, le suspectant de faire de l’ombre à ses autres compositions, et allant même jusqu’à la surnommer « la symphonie malheureusement trop célèbre »…

C’est trente ans plus tôt, en 1853, que Schumann compose son concerto pour violon. La rencontre avec le jeune violoniste de 22 ans, Joseph Joachim, est une révélation et une inspiration telle que l’œuvre naît d’un seul geste, en seulement onze jours. Joachim sera le plus grand violoniste de son temps. Dédicataire et inspirateur, il participera à la genèse des concertos de Brahms, Bruch ou encore Dvorak. Mais la « rencontre » entre l’esthétique du Schumann des dernières années (il meurt trois ans plus tard en 1856) et l’art du tout jeune violoniste, n’aura pas lieu. Le lyrisme exhubérant des débuts a laissé la place à plus de concentration, des expérimentations harmoniques et la présence obsessionnelle des thèmes. Et l’écriture de la partie de violon tourne le dos à toute facilité, aussi bien technique que stylistique. Imprégné par les Sonates et Partitas de Bach dont il a réalisé une version avec accompagnement de piano, Schumann compose une œuvre hybride et déroutante, qui utilise très souvent le registre medium du violon, rendant l’interprétation parfois ingrate. Joachim refuse de créer l’œuvre, qui tombe dans l’oubli pendant près d’un siècle pour ne ressurgir que dans les années 1930. Grâce à l’art de Yehudi Menhuin et Henrik Szering d’abord, de Gidon Kremer et d’Isabelle Faust ensuite, elle gagne progressivement la grande et singulière place qu’elle mérite dans le répertoire. La grande et singulière Patricia Kopatchinskaia s’incrit dans cette glorieuse lignée. Elle apportera à n’en pas douter une superbe et inattendue contribution à la postérité de ce chef d’œuvre.