Orchestre des Champs-Elysées

Brahms Perspective #5

J. BRAHMS Concerto pour piano n°1 en ré m op. 15
J. BRAHMS Symphonie n°3 en fa M op. 90

Alexander Lonquich, piano
Philippe Herreweghe, direction

Les différents volets de notre cycle Brahms Perspectives auront autant « opposé » l’œuvre de Brahms, à celle de Wolf par exemple, qu’ils l’auront « mariée », notamment à son alter ego Schumann. Ce programme d’avril permettra d’entendre, comme dans un miroir, le jeune homme de vingt ans du Premier Concerto op. 15 (1854-1858) conversant avec le quinquagénaire de la Troisième Symphonie op. 90 (1883).

L’Orchestre des Champs-Elysées, qui a mûri au fil de ce cycle Brahms au long cours, son interprétation des quatre symphonies, fera avec cet op.15 ses premiers pas dans la musique concertante pour piano de Brahms. Parfois comparé à une « symphonie avec piano obligé », ce Premier Concerto, d’abord destiné à être une sonate pour deux piano, puis une symphonie, est l’œuvre d’un jeune compositeur tétanisé à l’idée d’écrire une symphonie après Beethoven. De ses tergiversations naît une œuvre monstre, débordante d’énergie, aux émotions fortement contrastées, sans que ces hésitations successives quant à sa forme finale ne portent préjudice à sa cohérence et à son unité.
Le premier mouvement, quasi-symphonie à lui seul, s’ouvre sur une exposition orchestrale de près de quatre minutes, dont le caractère conquérant et héroïque et la place prépondérante de la timbale annoncent déjà la Première Symphonie, laquelle, commencée en 1862 ne verra le jour qu’en 1876 !
L’Adagio, méditation d’une douceur et d’une beauté infinies, est une déclaration d’amour à la jeune Clara Schumann, épouse de son ami et admirateur Robert, tout juste rencontrée lorsqu’il débute la composition du concerto, et à laquelle il écrit alors : « Je fais un doux portrait de toi dans l’Adagio ». La lettre qu’il lui enverra le 31 mai 1856, au cœur de la période de composition du concerto et deux mois avant la mort de Robert, est sans ambigüité sur ses sentiments : « Ma bien-aimée Clara, je voudrais […] t’écrire tendrement combien je t’aime […]. Je t’adore tellement, que je ne peux pas l’exprimer. (…) Tes lettres sont pour moi comme des baisers. »
Le Rondo final, à l’énergie tourbillonnante teintée de folklore tzigane, conclut ce monumental concerto. Brahms, qui note en marge de la cadence de la réexposition « Quasi fantasia », reprend ici l’intitulé de la Treizième sonate pour piano de Beethoven, ultime clin d’œil au Maître tant vénéré dont « les pas de géants derrière lui » l’ont si longtemps inhibé.

Presque trente en plus tard, lorsqu’il compose sa Troisième Symphonie, Brahms est désormais reconnu depuis plusieurs années comme un des grands symphonistes de son temps. Il consacrera cette année 1883 exclusivement à cette œuvre. Avec toutes les précautions nécessaires lorsqu’il s’agit de mettre en regard l’œuvre de Brahms avec celle de Beethoven, on peut s’amuser à dire qu’à la Première « Pathétique » et à la Deuxième « Pastorale », succède cette Troisième « Héroïque ». C’est d’ailleurs le surnom que donna à cette symphonie le grand chef d’orchestre Hans Richter, qui en dirigea la création le 2 décembre 1883 avec le Philharmonique de Vienne.
Les deux mouvements extrêmes incarnent le mieux ce surnom, le final offrant un pendant sombre à l’héroïsme lumineux du premier mouvement, lequel est sous-tendu par les accords « F » (« fa »)  « A » (« la »)  « F » (« fa »), les trois lettres symboliques de la devise adoptée ici par Brahms signifiant « Frei Aber Froh » (« libre mais joyeux »), en opposition à celle de son ami et dédicataire du Concerto pour violon Joseph Joachim « Frei Aber Einsam » (« libre mais solitaire »). Les deux mouvements centraux donnent son équilibre à l’œuvre, apportant respiration et calme méditatif, le troisième mouvement tenant ici plus du pur intermezzo brahmsien que du scherzo avec trio dont il garde uniquement le cadre.
A la fin de 1883, la nouvelle d’une Troisième Symphonie avait parcouru l’Europe musicale et attisé les convoitises des organisateurs de concert. Le succès de la première à Vienne fut retentissant, se prolongea et se rependit à traves l’Europe, jusqu’en Russie et aux Etats-Unis, au point que son créateur finit par se méfier de son propre chef d’œuvre, le suspectant de faire de l’ombre au reste de sa production, l’appelant même « la symphonie malheureusement trop célèbre ».

Crédits photo: 
Dedmityay