Orchestre des Champs-Elysées

BRAHMS/DVOŘÁK

PORTRAIT CROISÉ

J. BRAHMS Ouverture « Tragique » op. 81
A. DVOŘÁK Concerto pour violon en la m op. 53
J. BRAHMS Symphonie n°2 en ré M op. 73

Isabelle Faust, violon
Philippe Herreweghe, direction

Les festivités de Nouvelle Odyssée ont ouvert la saison par un évènement musical kaléidoscopique à travers la ville de Poitiers. Cette fois les musiciens de l’orchestre se rassemblent, en ce mois de novembre, pour partir à la découverte du Concerto pour violon de Dvorak. Isabelle Faust, ô combien fidèle à notre ensemble avec lequel elle a tant joué _ notamment _ le Concerto de Brahms, sera un guide à suivre les yeux fermés.

Le Concerto pour violon, écrit à l’automne 1879, incarne bien la dualité de l'inspiration de Dvorak (1841-1904) mêlant musique germanique et tradition slave. Un des modèles est certainement celui de son aîné, ami et mentor Brahms (1833-1897), composé l’année précédente. Les deux concertos ont par ailleurs tous deux comme dédicataire l’incontournable Joseph Joachim, que Brahms présenta à Dvorak. Mais à la droiture classique du premier répond la profusion thématique du second. « Ce gaillard a plus d’idées dans la tête que nous tous. J’aimerais être inspiré par un de ces grands thèmes qui, pour lui, ne représente qu’une idée secondaire » disait, plein d’admiration, l’aîné à propos de son cadet. L’admiration et l’amitié étaient réciproques, au point que certaines œuvres de Dvorak (comme sa Septième Symphonie (1885) que Brahms aimait tant), semblent presque « un hommage ». À contrario, cette fin des années 1870 est dominée par l’inspiration slave, et ce concerto est contemporain des Rhapsodies slaves op.45 (1878), des Danses Slaves op.46 (1878). Les inévitables motifs virtuoses servent ici une inspiration foisonnante et roborative, dont l’énergie jaillit particulièrement dans un finale Allegro giocoso man non troppo, qui se caractérise par un rythme contrarié de « furiant » : danse tchèque vigoureuse caractérisée par son rythme vif et ses changements soudains de tempo et d’ambiance, de deux temps à trois. Les hautbois soutenus par les violoncelles imitent les « dudy », sortes de cornemuses tchèques, soulignant le caractère folklorique de l’ensemble.

Le reste de ce programme est dédié tout naturellement à Brahms. Si la musique de Dvorak montre souvent un caractère bucolique, la Deuxième de Brahms fut régulièrement comparée à la Symphonie Pastorale de Beethoven. Brahms la décrivait non sans second degré comme une « suite de valses » (se référant au caractère ternaire de deux des quatre mouvements), une « symphonie gaie tout à fait innocente ». Mais la réalité est bien plus duale, et ainsi en parlait-il à son éditeur : « je n’ai encore rien écrit d’aussi triste […] : la partition devrait être éditée dans un cadre noir », ajoutant auprès d’un de ces pairs « je dois pourtant avouer que je suis quelqu’un d’extrêmement mélancolique ». De l’Ouverture Tragique (1880) et de sa jumelle joyeuse l’Ouverture pour une fête académique (1880), à l’instar des émotions contraires qui s’entremêlent dans la Deuxième Symphonie, il écrivit « l’une pleure l’autre rit ».

On a pu lire que le Concerto pour violon et orchestre de Dvorak, incarnant la confrontation entre musique germanique et culture slave, était le miroir de la situation politique de la Bohème tiraillée entre la domination des Habsbourg et les puissances émancipatrices. La musique de Brahms interprétée dans ce programme, mirroir de ses états d'âme, mêlera la félicité au tragique.