Orchestre des Champs-Elysées

Brahms Perspective #6 ANNULÉE

J.BRAHMS Concerto pour piano n°1 en ré m op.15
R.SCHUMANN Symphonie n°1 en si b M op.38

Nicholas Angelich, piano
Philippe Herreweghe, direction

L’Orchestre des Champs-Elysées, qui a mûri au fil de ce vaste cycle Brahms son interprétation des quatre symphonies, fera avec cet op.15 ses premiers pas dans sa musique concertante pour piano.

Parfois comparé à une « symphonie avec piano obligé », ce Premier Concerto (1859), d’abord destiné à être une sonate pour deux piano, puis une symphonie, est l’œuvre d’un jeune compositeur tétanisé à l’idée d’écrire une symphonie après Beethoven. De ses tergiversations naît une œuvre monstre, débordante d’énergie, aux émotions fortement contrastées, sans que ces hésitations successives quant à sa forme finale ne portent préjudice à sa cohérence et à son unité.

Le premier mouvement, quasi-symphonie à lui seul, s’ouvre sur une exposition orchestrale de près de quatre minutes, dont le caractère conquérant et héroïque et la place prépondérante de la timbale annoncent déjà la Première Symphonie, laquelle, commencée en 1862 ne verra le jour qu’en 1876 !

L’Adagio, méditation d’une douceur et d’une beauté infinies, est une déclaration d’amour à la jeune Clara Schumann, épouse de son ami et admirateur Robert, tout juste rencontrée lorsqu’il débute la composition du concerto, et à laquelle il écrit alors : « Je fais un doux portrait de toi dans l’Adagio ». La lettre qu’il lui enverra le 31 mai 1856, au cœur de la période de composition du concerto et deux mois avant la mort de Robert, est sans ambigüité sur ses sentiments : « Ma bien-aimée Clara, je voudrais […] t’écrire tendrement combien je t’aime […]. Je t’adore tellement, que je ne peux pas l’exprimer. (…) Tes lettres sont pour moi comme des baisers. »

Le Rondo final, à l’énergie tourbillonnante teintée de folklore tzigane, conclut ce monumental concerto. Brahms, qui note en marge de la cadence de la réexposition « Quasi fantasia », reprend ici l’intitulé de la Treizième sonate pour piano de Beethoven, ultime clin d’œil au Maître tant vénéré dont « les pas de géants derrière lui » l’ont si longtemps inhibé.

Contrairement à son cadet qui mit 14 ans à terminer sa Première Symphonie, Schumann composa la sienne en 4 jours et 4 nuits. La fulgurance du geste créateur, encouragé par Clara et porté par l’allégresse des premiers mois de mariage, traduisait à la fois le thème printanier de l’œuvre (sous-titrée Frühlingssinfonie « Le Printemps »)et l’état d’esprit entreprenant du Schumann d’alors. Ce dernier se lance avec cette œuvre dans l’aventure symphonique (il disait dès 1839 : « le piano devient trop étroit pour contenir mes idées ») qui seule peut lui permettre la conquête de la prestigieuse organisation de concerts du Gewandhaus de Leipzig, où la symphonie fut d’ailleurs créée le 31 mars 1841 sous la direction de Mendelssohn.

Le « Printemps » est initialement conçu dans le cadre de la musique à programme romantique. Le manuscrit autographe emprunte ses titres à un poème d’Adolf Böttger (1816-1870), qui sera 2 ans plus tard le librettiste de Das Paradis und die Peri (1843).

Les retentissantes sonneries de cuivres qui introduisent le premier mouvement (Frühlingsbegin. Im Tale blüht der Frühling auf! « Le début du printemps. Dans la vallée le printemps éclate en fleurs ! ») donnent le ton de cette œuvre d’une irrésistible énergie. La solennité de l’Andante poco Maestoso fait rapidement place, par un tournoiement, à un Allegro molto vivace plein d’une sève presque martiale.

Le Larghetto (Abend, Idylle, « Soir, idylle »), déploie un chant quasi ininterrompu où le lyrisme mêle félicité et atmosphère légendaire. Le mouvement se conclue par un choral de trombones énigmatique et crépusculaire qui introduit un scherzo (Frohe Gespielen, « Joyeux compagnons de jeux ») plein d’une vigueur rustique et terrienne. Les deux trios lui apportent, par divers jeux de rythmes, espièglerie et légèreté.

Le Finale (« Voller Frühling », « Le printemps dans sa plénitude ») s’ouvre, comme le premier mouvement, par une introduction à la fois solennelle et d’une énergie éclatante, laquelle laisse place aux motifs spiccato des cordes et à des jeux de syncopes et d’accents décalés qui impriment à l’ensemble du mouvement une irrépressible envie de danser.

Pour le Brahms de l’opus 15 comme pour le Schuman du « Printemps », c’est bien la silhouette de Clara, instigatrice, inspiratrice, qui apparaît en filigrane. Elle encourage et inspire tout autant son jeune époux que son amour de l’ombre dans leurs premières expériences symphoniques respectives.

Crédits photo: 
Tim Gage